Critiques

 

      "On aurait entendu une mouche voler, les élèves étaient captivés durant toute la représentation : C’était gagné pour Amal, Karim, le théâtre et la littérature. Ce jour-là, le texte littéraire n’était manifestement plus un élément de programme obligé, mais un moment de plaisir partagé et l’occasion d’un lien social roboratif qui réconciliait des élèves marocains avec leur littérature et leur société, ils découvraient qu’un Chraïbi était aussi universel et grand écrivain que les classiques français qu’ils ont l’habitude d’étudier. Et que, de plus, il leur parle de leurs tenants et de leurs aboutissants.

Une petite-fille raconte le parcours de sa grand-mère, pionnière du féminisme marocain, qui vient de mourir. Et, ce choix de faire parler une petite-fille à la place des deux fils narrateurs de La Civilisation, ma mère !.., magnifique roman de Driss Chraïbi, redouble l’actualité de la relecture théâtrale jouée par Amal Ayouch et mise en scène par Karim Troussi. Sans conteste, cette déclinaison facilite l’identification du public scolaire qui forme la cible et la première audience de la pièce. 

Des idées d’adaptation audacieuses et étonnantes donc, mais la féminisation du narrateur et le choix du monologue proposent une relecture théâtrale du roman qui fonctionne. Un seul personnage, qui de plus n’existe pas dans le roman de Driss Chraïbi, un monologue qui raconte le parcours de la mère (qui, ici, est grand-mère), un choix des séquences les plus expressives du texte et, enfin, les accents du texte et son humour décapant sauvegardés font du travail de réécriture d’Emilie Malosse un défi réussi.

Les options et les trouvailles de mise en scène de Karim Troussi sont aussi à saluer : Un dispositif scénique léger, adaptable à toutes sortes de lieux, sans décor prédéterminé, avec des accessoires réduits au minimum de signes nécessaires pour permettre à la comédienne de créer des espaces divers par ses déplacements. Fondé sur le principe du théâtre environnemental, cette pièce impose l’adaptation à l’espace du jeu, elle abolit la notion de représentation et brise le cadre classique de la scène : L’actrice se mêle aux spectateurs pour les accueillir, elle s’adresse à eux, de but en blanc, comme invités auditeurs du récit raconté. Cet effet de surprise ébranle et joue pleinement pour capter dès l’abord l’attention de l’audience.

La prestation de comédienne d’Amal Ayouch est remarquable et stimulante de par son investissement du rôle, son énergie, le rythme et la palette d’émotions qui rendent compte du personnage raconté. Seule sur scène, elle narre, joue, mime et anime l’espace : Une performance où texte, parole, corps, gestuelle et déplacements s’étayent pour nous toucher et nous interpeler. 

Cette réalisation suppose un travail rigoureux de mise en espace et en gestes, et des trouvailles de jeu et de construction de texte d’autant plus efficaces qu’elles ont semblé aller de soi au spectateur un peu particulier que je suis.

Une belle réussite. Merci Amal, Karim et Emilie pour ce travail théâtral magnifique."


                                                                                                                 Kacem BASFAO,

Professeur universitaire, chercheur et critique littéraire marocain ami de Driss Chraïbi.